Référence : CJUE, 2ème Chambre, Fédération internationale de football association (FIFA) contre BZ, 4 octobre 2024, C-650/22

29 ans après l’arrêt Bosman, quelques mois après les arrêts ISU et Superleague, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a de nouveau, le 4 octobre dernier, remis en cause des règlements sportifs établis par une fédération internationale, à savoir la FIFA.

Le rôle de la CJUE en matière sportive  

Depuis 1976, la CJUE s’attelle à vérifier la compatibilité des réglementations sportives européennes et internationales aux traités européens (CJCE, 12 décembre 1974, Walrave-Koch, n°36-74).

En 1995, l’arrêt Bosman constitue la première application de contrôle de la CJUE au football. Cet arrêt constitue une véritable révolution pour le marché des transferts en abolissant les règles de l’UEFA interdisant les équipes européennes à recruter plus de 3 joueurs étrangers (CJCE, 15 décembre 1995, Jean-Marc Bosman c. UEFA, C-415/93).

En 2023, le trio d’arrêts de la CJUE – ISU, Superleague, Royal Antwerp FC – s’attache à interdire le monopole des fédérations sportives internationales (CJUE, 21 décembre 2023, ISU c. Commission, C-124/21 ; CJUE, 21 décembre 2023, Superleague c. UEFA & FIFA, C-333/21 ; CJUE, 21 décembre 2023, UL & Royal Antwerp FC c. URBSFA, C-680/21). 

Enfin, en 2024, l’arrêt Diarra constitue le dernier exemple de ce contrôle européen exercé par la CJUE.

Le litige opposant Lassana Diarra au Lokomotiv Moscou 

À l’origine de cet arrêt, un litige contractuel opposant le footballeur professionnel Lassana Diarra à son ancien club russe, le Lokomotiv Moscou.
En août 2013, Lassana Diarra a signé un contrat avec le club russe pour 4 ans.

Un an plus tard, ce dernier est résilié pour « absences injustifiées».

En avril 2015, le club moscovite se tourne vers la chambre de résolution des litiges de la FIFA. Il y obtient une condamnation financière de 10,5 millions d’euros, fondée sur une « rupture pour juste cause ».

En juin 2015, le sportif conteste cette décision et interjette appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS).

Par une sentence arbitrale en date du 27 mai 2016, le TAS confirme cette condamnation (CAS 2016/A/4474, Lassana Diarra v. FC Lokomotiv Moskow, award of 27 may 2016).

L’impossibilité de signer au Sporting Charleroi

Les procédures ci-avant évoquées étant longues, le joueur rechercha en parallèle à trouver un nouveau club de football afin d’y poursuivre sa carrière.

Les différents clubs éventuellement intéressés refusent toutefois de l’engager.

C’est notamment le cas du club belge, le Sporting Charleroi, qui souhaite le recruter, mais qui y est empêché par les règles de la FIFA.

Les règles de la FIFA en cause

Trois séries de règles du Règlement du statut du transfert des joueurs (RSTJ) risquaient de s’appliquer au Sporting Charleroi :

  • L’article 9.1 du RSTJ et l’article 8.2.7 de l’annexe 3 du RSTJ, qui interdit à la fédération nationale russe de délivrer le certificat international de transfert au club recruteur (CIT) tant qu’il existe un litige contractuel avec le joueur,
  • L’article 17.2 du RSTJ, qui prévoit une responsabilité conjointe et solidaire du Sporting Charleroi quant à l’indemnité de 10,5 millions due par le joueur,
  • L’article 17.4 du RSTJ qui présume, sauf preuve contraire, que le Sporting Charleroi a incité le joueur à résilier son contrat et l’interdit, en conséquence à recruter pendant deux mercatos.

Face à cette paralysie, le 9 décembre 2015, Lassana Diarra poursuivit la FIFA et la Fédération belge de football devant le tribunal de commerce du Hainaut (Belgique) ; il y réclama la condamnation des deux fédérations à une somme de 6 millions d’euros aux motifs qu’ils l’auraient empêché d’exercer sa profession de footballeur professionnel.

Le 19 janvier 2017, ledit tribunal condamna solidairement la FIFA et la fédération belge de football.

La FIFA interjeta appel de ce jugement.

Le 19 septembre 2022, la Cour d’appel de Mons, saisie de cet appel, interrogea la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») sur la question préjudicielle suivante : « Les règles litigieuses du RSTJ sont-elles contraires aux articles 45 et 101 du TFUE ? », lesdits articles prévoyant notamment une libre circulation ainsi qu’une libre concurrence sur le marché européen.

En réponse à cette question préjudicielle, la CJUE déclara que les articles 9 et 17 RSTJ étaient incompatibles avec le droit de l’Union européenne.

Aussi convient-il donc de procéder à une analyse de cette décision (I.) avant d’en aborder les perspectives d’avenir (II.).

  1. Analyse de l’arrêt Diarra de la CJUE

L’arrêt Diarra rappelle les droits fondamentaux des footballeurs professionnels, notamment :

  • leur liberté de circulation (A.),
  • et leur droit à être recruté, même en cas de résiliation unilatérale (B.).
  1. Les articles 9 et 17 du RSTJ contraires à l’article 45 du TFUE : l’affirmation de la liberté de circulation des footballeurs

En vertu de l’article 45 du TFUE :

« La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union. […] Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. »

Selon la CJUE, les joueurs de football professionnels sont des travailleurs comme les autres et bénéficient ainsi de la liberté de circulation des travailleurs garantie par l’article 45 du TFUE.

Bien que l’article 45 du TFUE interdise en principe toute entrave fondée sur la nationalité à la liberté de circulation des travailleurs, la CJUE a étendu in extenso cette liberté à toute mesure dissuasive indistinctement applicable.

C’est l’arrêt Bosman, rendu en 1995, qui a confirmé ce revirement en énonçant que les « dispositions qui empêchent ou dissuadent un ressortissant d’un État membre de quitter son pays d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent, dès lors, des entraves à cette liberté même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés ».

Sur ce fondement, la Cour avait sanctionné à l’époque la réglementation de l’UEFA qui imposait à un club, pour un joueur en fin de contrat, de payer une indemnité de transfert, bloquant ainsi le footballeur Jean-Marc Bosman dans sa carrière sportive.

Dans l’arrêt Diarra, ce sont les articles 9 et 17 du RSTJ de la FIFA, établissant un régime de sanctions particulièrement exorbitant du droit commun, qui n’ont pas laissé indifférents les juges de la CJUE.

Selon la Cour, « cet ensemble de règles est susceptible de défavoriser les joueurs de football professionnel » et « sont de nature à entraver la liberté de circulation des travailleurs. » (pts. 91 et 94) affirmant ainsi la libre circulation des joueurs de football professionnels.

  • Les articles 9 et 17 du RSTJ contraires à l’article 101 du TFUE : la consécration d’un droit au recrutement des footballeurs
  1. L’interdiction des ententes anticoncurrentielles dans le cadre des transferts internationaux

L’article 101 du TFUE interdit toutes ententes anticoncurrentielles « qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur ».

Sur ce fondement juridique, la CJUE s’interroge sur les conséquences des articles 9 et 17 du RSTJ, à savoir sur la liberté des clubs à pouvoir recruter des joueurs ayant résilié leur contrat sans juste cause.

  • Première restriction de concurrence : l’indemnité élevée et dissuasive due à l’ancien club 

La CJUE considère que les paramètres de calcul de l’indemnité due par le joueur en cas de rupture sans juste cause conduisent à la « fixation d’indemnités d’un montant extrêmement élev[é] et dissuasif » (pt. 135 de l’arrêt) pour les clubs recruteurs.

En l’espèce, le club du Sporting Charleroi aurait dû s’acquitter de près de 10,5 millions auprès du Lokomotiv Moscou s’il souhaitait effectivement recruter Lassana Diarra.  

  • Seconde restriction de concurrence : l’interdiction de délivrer le certificat international de transfert (CIT)

La CJUE considère que tout recrutement d’un joueur ayant rompu son contrat sans juste cause est vidé de tout intérêt sportif, car « ce joueur ne peut ni être enregistré auprès de ce nouveau club ni participer, pour son compte, à toute compétition relevant de la compétence de la FIFA » (pt. 139 de l’arrêt).

En conséquence, ces règles de la FIFA constituent une « restriction généralisée et drastique de la concurrence transfrontalière entre clubs par le recrutement unilatéral de joueurs déjà engagés” (pt. 140 de l’arrêt).

Les articles 9 et 17 de la FIFA constituent une entente anticoncurrentielle par objet, en raison de son degré suffisant de nocivité pour la concurrence et donc interdits par l’article 101 du TFUE. 

En ce sens, la CJUE consacre un véritable droit au recrutement, moyennant une indemnité proportionnée, des sportifs ayant résilié unilatéralement leur contrat, qu’elle étend d’ailleurs également à tous les sportifs sous contrat.

  • L’exemption : le renvoi à la juridiction de renvoi belge pour l’évaluation de la proportionnalité de l’entente

Même si une entente anticoncurrentielle est, en principe, interdite, elle peut faire l’objet d’une exemption sur le fondement de l’article 101§3. Cela signifie que les effets positifs de l’entente contrebalancent les effets négatifs.  

Sur ce point, la CJUE s’oppose aux règles de la FIFA, mais laisse, toutefois, la juridiction de renvoi évaluer la véritable proportionnalité des règles de la FIFA (pt. 158).

  1. Les perspectives d’avenir du football et plus généralement du sport professionnel  

Il convient d’aborder la réaction de la FIFA (A.), les pistes d’évolution du RSTJ (B.), puis la nécessaire évolution de la structuration du monde professionnel (C.).

  1. La réaction de la FIFA
  1. Une opportunité de mise en conformité du RSTJ avec le droit européen

Par l’intermédiaire de son directeur juridique, M. Emilio García Silvero, la FIFA a fait part de sa position quant à l’arrêt Diarra.

Dans un premier temps, la FIFA rappelle que les règles du RSTJ avaient été jugées conformes au droit européen par la Commission européenne il y a 20 ans.

Toutefois, cette validité n’est pas reconnue aujourd’hui par la CJUE :

« La décision dans l’affaire (Lassana) Diarra […] signifie que certains éléments […] doivent désormais être révisés afin de remettre le RSTJ de la FIFA en conformité avec le droit européen, ce droit ayant été aujourd’hui interprété par la Cour de justice de l’Union européenne. »

Dans un second temps, la FIFA exprime que cet arrêt ne remet absolument pas en cause le système des transferts, notamment les éléments suivants :

  • les règles relatives aux périodes d’enregistrement ;
  • le transfert et l’enregistrement de joueurs ;
  • la mise en œuvre de sanctions sportives dans certains cas ;
  • les indemnités de formation et les mécanismes de solidarité visant à récompenser les clubs formateurs ;
  • les transferts internationaux de joueurs mineurs ;
  • le système de résolution des litiges.

Enfin, la FIFA indique qu’elle « veut saisir cette opportunité pour faire évoluer son cadre réglementaire, en tenant évidemment compte des points de vue et des contributions de toutes les parties concernées et touchées ».

  • Le lancement d’une concertation mondiale

Dans le sens de cette volonté d’évolution associant les différentes parties prenantes, la FIFA a lancé un « forum de discussion mondial » (disponible à cette adresse) sur lequel toutes personnes intéressées – acteurs du football, société privée, ou particulier – peuvent formuler ses remarques jusqu’au 15 novembre 2024.

Cette solution, semblable à celle d’une consultation citoyenne, est une véritable première dans le fonctionnement de la FIFA.

  • Les pistes d’évolution du RSTJ

À l’avenir, les sanctions de la FIFA en matière de rupture unilatérale de contrat devront respecter 4 critères (CJUE, Superleague c. UEFA & FIFA, 21 décembre 2023, C-333/21) :

  • Transparence,
  • Objectivité,
  • Non-discrimination,
  • Proportionnalité.

En ce sens, il convient d’aborder les différentes pistes de réforme.

  1. Sur l’indemnité due en cas de rupture sans juste cause

La FIFA devra nécessairement :

  • d’une part, clarifier et objectiver la définition de « juste cause » (article 14 du RSTJ), et
  • d’autre part, réviser les paramètres de calcul de l’indemnité (article 17.1 du RSTJ) en ne prenant en compte que des critères directement liés à la relation de travail du footballeur (par exemple, les rémunérations dues jusqu’à la fin du contrat) et en excluant tout critère extérieur (par exemple, l’indemnité de transfert).

Ces critères devront permettre au footballeur d’avoir une vision précise à un instant t de l’indemnité financière à laquelle il s’expose en cas de rupture unilatérale de son contrat.

  • Sur lessanctions financières et administratives du club recruteur 

La responsabilité financière conjointe du club recruteur (article 17.2 du RSTJ) et les sanctions administratives associées, notamment l’interdiction de recrutement pendant deux périodes d’enregistrement (article 17.4 du RSTJ), semblent largement excéder les règles européennes en la matière.

Le renouvellement d’une telle sanction devrait être impossible sans risquer une nouvelle condamnation européenne.

  • Sur l’interdiction de délivrer le certificat international de transfert 

La CJUE a émis de vives réserves quant à l’interdiction faite au club recruteur de délivrer le certificat international de transfert (article 9.1 du RSTJ) ; cette interdiction reposant sur une présomption que le club recruteur aurait incité le joueur à résilier son contrat.

Sur ce point, la CJUE a souligné le caractère, quasiment irréfragable, « général et automatique » (pt. 93) de cette présomption.

Aussi conviendra-t-il désormais de prévoir une appréciation casuistique.

Il sera également possible de convenir certains critères de nature à établir les circonstances pouvant être considérées comme suspectes dans le comportement du club recruteur.

  • La nécessaire évolution de la structuration du monde professionnel

On constate une multiplication des condamnations par la CJUE des règlements établis par les fédérations internationales (FIFA, ISU) et confédération internationale (UEFA).

Cela soulève, dès lors, certains interrogations quant aux dispositions règlementaires établies par ces dernières.

Le pouvoir règlementaire de ces fédérations a, ainsi, été largement impacté afin que ces dernières respectent les dispositions du TFUE.

Quant au monopole des fédérations sportives européennes et internationales, il a également été allègrement recadré dans le cadre de l’affaire Superleague.

La liberté du sportif, et plus généralement des acteurs du sport, semble faire office de clef de voûte de ce mouvement de libéralisation du sport professionnel.

Reste désormais à savoir si ce mouvement pourra continuer à s’inscrire au sein du modèle actuel, prenant la forme d’une structure pyramidale, ou s’il prendra la forme d’une multiplicité d’acteurs concurrentiels voire s’il consistera en la création d’un consortium unique regroupant l’ensemble des acteurs internationaux ou encore les principaux acteurs, les sportifs.

La liberté des sportifs et des acteurs du sport professionnel en dépend.

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