Stade football crise Covid-19

Le 28 avril 2020, lors de la présentation de son plan de déconfinement devant l’Assemblée Nationale, le Premier ministre, Edouard Philippe annonçait que “la saison 2019-2020 de sports professionnels, notamment celle de football, ne pourra[it] pas reprendre.

Le 30 avril 2020, le Conseil d’Administration de la Ligue de Football Professionnel (LFP) décidait d’acter la fin des championnats de France de Ligue 1 et de Ligue 2 en adoptant, pour la Ligue 1, la méthode du classement au quotient, à savoir en fonction du nombre de points et du nombre de matchs joués.

A l’unanimité, le Conseil d’Administration attribua, pour la saison 2019/2020, le titre de champion de France Ligue 1 Conforama au Paris Saint-Germain et le titre de Domino’s Ligue 2 au FC Lorient.

Le Conseil d’Administration décida, en outre, d’adopter le principe de deux montées et de deux descentes entre la Ligue 1 et la Ligue 2.

Les grands perdants de cette décision sont notamment :

  • Le LOSC qualifié en C3 mais non-qualifié en C1 alors que le club était toujours en course pour une telle qualification ;
  • L’Olympique Lyonnais (OL), non qualifié en C1 et vraisemblablement pour une quelconque Coupe d’Europe, pour la première fois depuis 1997 ;
  • Amiens, relégué en Ligue 2 alors qu’il ne disposait que de 4 points de retard sur le premier club non-relégable, avec près de 30 points encore en jeu avant l’arrêt du championnat ;
  • L’AC Ajaccio, l’ESTAC Troyes, Clermont Foot 63, respectivement 3e, 4e et 5e de Domino’s Ligue 2, privés de matchs de barrage pour une montée en Ligue 1 ;
  •  L’US Boulogne CO, 3e de National 1, privé de matchs de barrage pour une montée en Ligue 2.

Le jour même de la transmission de cette décision, Canal+ informait la LFP de la résiliation du contrat portant sur les droits de retransmission du championnat de France 2019/2020.

Cette décision du Conseil d’Administration de la LFP emporte, dès lors, de lourdes conséquences sportives et financières, de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros, pour l’ensemble des acteurs du football français.

L’arrêt du championnat de France de Ligue 1 et de Ligue 2 emporte, en conséquence, de facto de délicates questions juridiques.

Il se pose, tout d’abord, la question des fondements juridiques de cette décision d’arrêter le championnat de France de Ligue 1 et de Ligue 2. (I.)

Se pose, par ailleurs, la question de l’éventuelle indemnisation des préjudices subis du fait de cet arrêt (II.).

Se pose, enfin, la question d’une éventuelle modification de cette décision (III.).

I. Les fondements juridiques de la décision d’arrêter le championnat de France de Ligue 1 et de Ligue 2

Deux fondements ont été, jusqu’à présent, évoqués :

  • La force majeure
  • Le fait du prince

Afin de sécuriser le classement arrêté par la LFP, le gouvernement, par la voie du Ministère des Sports, a indiqué préparer un texte législatif permettant les changements réglementaires dus à ce cas qu’il qualifie de force majeure.

Aussi convient-il, dès lors, d’observer la vraisemblable caractérisation de la force majeure en matière contractuelle (A.) avant d’évoquer, en tout état de cause, la caractérisation de la force majeure par le fait du prince (B.).

A. La vraisemblable caractérisation de la force majeure en matière contractuelle

Pour rappel, en matière contractuelle, celui qui invoque la force majeure pour s’exonérer de ses obligations doit prouver l’existence des trois critères cumulatifs suivants :

  • Un événement qui échappe au contrôle du débiteur
  • Un événement imprévisible au moment de la formation du contrat
  • Un événement qui rende impossible l’exécution de l’obligation

En l’espèce, il semble que ces trois conditions soient réunies :

  • L’événement échappe manifestement au contrôle des co-contractants, n’est imputable à aucune des parties du contrat qui n’ont aucun pouvoir sur un tel événement, inédit et dont la contamination progresse rapidement ;
  • L’évènement semblait imprévisible au jour de la formation des contrats signés avant le mois de janvier 2020, eu égard d’une part, à l’absence de crises sanitaires d’une telle ampleur dans un passé plus ou moins récent et, d’autre part, au caractère unique du Covid-19 de par son ampleur, sa vitesse de propagation ainsi que des actions qu’il engendre ;
  • L’évènement semble rendre impossible l’exécution des prestations dans la mesure où les mesures de police prises en réponse au Covid-19 interdisent les rassemblements et la réception du public dans les stades, ainsi que la pratique sportive collective.

En l’espèce, sous réserve de dispositions contractuelles spécifiques prévoyant une énumération limitative des cas de force majeure, l’on peut, dès lors, légitimement considérer le Covid-19 comme étant constitutif d’un cas de force majeure, ce du fait notamment des mesures de police prises en conséquence de ce virus.

Les premières tendances jurisprudentielles semblent, d’ailleurs, aller vers une telle reconnaissance de la force majeure liée au Covid-19 dans la mesure où, en droit des étrangers, dans un arrêt rendu le 12 mars 2020, la Cour d’Appel de Colmar a retenu les conséquences de la pandémie comme étant constitutives d’une situation de force majeure.

En présence d’un tel cas de force majeure, en cas d’empêchement définitif, un co-contractant sera, dès lors, en droit de procéder à une résiliation unilatérale du contrat.

C’est en ce sens que Canal+ a été en mesure de procéder à la résiliation unilatérale de son contrat le liant à la LFP.
La force majeure peut également être caractérisée par le fait du prince.

B. La caractérisation de la force majeure par le fait du prince

Il est communément admis que la force majeure est caractérisée lorsque celle-ci survient par le « fait du prince », c’est-à-dire lorsqu’elle est liée à une décision administrative ou d’une autorité étatique, rendant les circonstances imprévisibles et irrésistibles.

Les décisions impératives d’interdiction émanant d’autorités nationales ou régionales ayant force obligatoire sous peine de sanction, sont, ainsi, considérées comme des cas de force majeure.

En l’espèce, la décision d’arrêter le championnat de France de Ligue 1 et de Ligue 2 a été prise en considération du discours du Premier ministre, Edouard Philippe, chef du gouvernement, en date du 28 avril 2020, à l’occasion duquel il affirmait : “la saison 2019-2020 de sports professionnels, notamment celle de football, ne pourra pas reprendre ».

Or, il convient de rappeler que la Fédération Française de Football (FFF) bénéficie d’une délégation de service public et que la LFP bénéficie elle-même d’une subdélégation de la FFF pour les activités de football professionnel.

Le pouvoir exécutif, délégant, représenté ici par son Premier ministre, a, donc, donné un ordre à son délégataire, qui ne peut passer outre, ce en dépit de la vraisemblable absence de portée normative de ce discours.

En effet, comme en témoigne l’exemple récent de l’immixtion du Ministère des Sports dans les décisions de la Fédération Française des Sports de Glace, il est fort probable que le non-respect par la LFP de cette injonction du pouvoir exécutif aurait pu aboutir à de sérieux griefs voire à un éventuel retrait de la délégation.

Le discours du Premier ministre en date du 28 avril 2020 peut, donc, légitimement être considéré comme une décision impérative d’interdiction émanant d’une autorité nationale ayant force obligatoire sous peine de sanction.

Il s’agit, dès lors, d’un “fait du prince” dans la mesure où la LFP n’est pas en mesure de passer outre cette interdiction.
En conséquence, la force majeure est manifestement caractérisée par ce fait du prince, emportant une protection juridique importante au profit de la LFP dans le cadre des recours qui ne manqueront pas d’être formés par plusieurs clubs à l’encontre de cette décision, et notamment aux fins d’indemnisation des préjudices subis du fait de cette décision.

II. La recherche d’indemnisation des préjudices subis du fait de cet arrêt

L’arrêt du championnat de France de Ligue 1 et de Ligue 2 et la détermination d’un classement, pour la Ligue 1, au moyen de la méthode du classement au quotient, à savoir en fonction du nombre de points et du nombre de matchs joués, a engendré plusieurs préjudices.

Il convient de les évoquer (A.) avant d’aborder la recherche de leur indemnisation (B.).

A. Les préjudices subis par les clubs du fait de l’arrêt du championnat

Parmi les principaux préjudices subis du fait de l’arrêt du championnat, on peut notamment mentionner, sans que cela soit exhaustif :

  • La perte de droits TV : conformément à son droit de procéder à une résiliation unilatérale du contrat du fait de la caractérisation d’un cas de force majeure, Canal+ a , en effet, procédé à la résiliation de son contrat le liant avec la LFP, BeInSport devant vraisemblablement résilier, prochainement, son propre contrat avec la LFP. Ces résiliations emportent un préjudice économique de l’ordre de près de 243 millions d’euros ;
  • La baisse de la valeur des joueurs de football ;
  • L’éventuelle résiliation, voire la renégociation, de tous les contrats liant les clubs à leurs partenaires ;
  • La perte économique liée à la billetterie ;
  • La perte de chance, pour plusieurs clubs, de :
    • Qualification en Coupe d’Europe
    • Maintien dans sa division, ou encore
    • Promotion à la division supérieure
  • Le préjudice lié à la perte de compétitivité, sportive et financière, vis-à-vis des clubs européens ayant repris leur championnat 2019/2020

B. La recherche d’indemnisation des préjudices subis

Les clubs pourraient, tout d’abord, intenter un recours à l’encontre de la décision prise par le Conseil d’Administration de la LFP, en date du 30 avril 2020, ce, dans un premier temps, devant le CNOSF.

Si les chances de succès sont limitées pour les raisons ci-avant évoquées, certains arguments pourraient, toutefois, être évoqués tels que :

  • le fait que le règlement de la LFP prévoit 38 matchs, ce qui emporte une atteinte manifeste à l’équité sportive ;
  • l’absence de mention de la force majeure, pour justifier cette décision, au sein du règlement des championnats de France professionnels ;
  • la possibilité de prévoir un championnat à 22 équipes, pour les clubs ayant été relégués.

Par ailleurs, les clubs pourraient également intenter un recours en responsabilité contre l’Etat.

Ils pourraient, ainsi, notamment, arguer que l’absence de toute rencontre sportive accueillant du public jusqu’au mois de juin, juillet ou août n’empêchait pas une reprise de la saison 2019/2020 à compter du mois de septembre 2020.

Quant à la détermination des préjudices évoqués ci-avant, ceux afférents à une perte de chance semblent disposer de plus de probabilités d’être indemnisés par un juge.

Pour rappel, la perte de chance est appréciée in concreto, c’est-à-dire en considération des faits de chaque espèce.
A titre d’exemple, un club, tel que l’Olympique Lyonnais, disposant d’un retard de 10 points sur la dernière place qualificative pour la Ligue des champions subira une perte de chance différente de l’US Boulogne CO, 3e de National 1, privé de matchs de barrage pour une montée en Ligue 2.

Quant aux dommages plus indirects, en matière de billetterie ou encore de recrutement, ils sont nécessairement plus difficiles à déterminer. Ils disposent, donc, de probabilités moins importantes d’être indemnisés.

En tout état de cause, le texte devant sécuriser les décisions prises devra être étudié avec la plus grande attention et notamment en ce qu’il pourrait prévoir les éventuelles conditions d’un engagement de la responsabilité de l’Etat.

III. Quid de l’éventuelle modification de cette décision du CA de la LFP

Depuis plusieurs jours, plusieurs présidents de clubs plaident en faveur d’une modification de la décision prise par la LFP.

Juridiquement, la LFP est-elle en mesure de procéder à une telle modification ?
A la lecture des statuts de la LFP, il semble que cette dernière puisse revenir sur sa décision.

Pour ce faire, le Conseil d’Administration de la LFP devrait convoquer une assemblée générale extraordinaire. A défaut, il conviendrait qu’au moins un quart de l’Assemblée Générale de la LFP, composée par un membre de chaque club et six représentants des différents métiers du football, s’auto-saisisse dans l’objectif de modifier les statuts de la LFP.

Cette solution est, toutefois, peu probable en pratique du fait de la défiance politique qu’elle engendrerait.
Quant à une éventuelle modification de la décision par le biais d’un recours judiciaire, cela apparaît d’autant moins probable dans la mesure où les clubs requérants devront, tout d’abord, épuiser les voies de recours internes à la justice sportive (LFP, FFF, CNOSF) avant de saisir le Tribunal administratif.

Les délais afférents à de telles procédures condamneraient, dès lors, de facto, les chances de reprendre la saison 2019/2020 avant le début de la saison 2020/2021, programmé, à ce jour, au 23 août 2020.

En tout état de cause, au regard des nombreux enjeux juridiques et financiers afférents à cette décision, le gouvernement a rapidement annoncé être en cours d’élaboration d’un projet de loi d’habilitation.

Cette loi viserait à “sécuriser le droit” des différentes Fédérations et Ligues sportives à modifier les règles de leurs championnats et compétitions en raison de la situation sanitaire.

Toutefois, ce texte législatif ne saurait priver les clubs de leur droit de recours à l’encontre de telles décisions, ce du fait notamment du principe à valeur constitutionnelle du droit à un recours effectif.

Dans le cadre de son avis rendu sur ledit projet de loi, le Conseil d’Etat a ainsi considéré que l’habilitation du Gouvernement à modifier par ordonnance « les dispositions législatives fixant la durée des saisons et à ajuster leur calendrier, ainsi qu’à modifier corrélativement l’ensemble des règles régissant tant le fonctionnement des compétitions que les contrats qui seraient arrivés à leur terme et auraient atteint la durée maximale prévue par le code du sport, était nécessaire ».
A cette mesure, le Conseil d’Etat y adjoint, en outre, l’habilitation des fédérations sportives, disposant des principales compétences en la matière, à « intervenir pour modifier la réglementation, y compris en tant que ces modifications s’appliqueront à des situations déjà acquises c’est-à-dire des cycles de compétition commencés selon des règles particulières qui seront modifiées à posteriori par les fédérations, ce que seul un encadrement législatif peut leur permettre de faire ».

Nul doute que cet avis fera l’objet de nombreux commentaires du fait notamment de l’ampleur des prérogatives accordées.

CategoryJuridique

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