La compréhension du litige opposant la LFP à la FFF nécessite d’aborder :
– les prérogatives respectives du Conseil d’Administration de la LFP et du Comité Exécutif de la FFF ;
– ses fondements juridiques ;
– les problèmes juridiques posés au Conseil d’Etat.

Le 9 juillet 2015, le Conseil d’Administration de la Ligue de Football Professionnel (LFP) a entériné sa décision, votée le 21 mai 2015, de passer de trois montées et de trois descentes annuelles, entre la Ligue 1 et la Ligue 2, à seulement deux : « réuni le 9 juillet 2015, le Conseil d’Administration de la LFP a confirmé sa décision du 21 mai 2015 de passer à deux montées et deux descentes entre la Ligue 1 et la Ligue 2 à l’issue de la saison 2015-2016, et à modifier en conséquence l’article 511 de son règlement ».

Cette décision s’inscrit dans un souhait de favoriser les investissements, supposés moins risqués, en présence de seulement deux relégations par saison.

Le 23 juillet 2015, le Comité Exécutif de la Fédération Française de Football (FFF) réforme la décision du Conseil d’Administration de la LFP, en la privant de tout effet, car « contraire à l’intérêt supérieur du football et, en tout état de cause, aux statuts et règlements ».

Le 25 juillet 2015, la LFP, par l’intermédiaire de son président, Frédéric THIRIEZ, annonce sa volonté d’initier, en référé, un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat.

Le 27 juillet 2015, le Bureau des Référés du Conseil d’Etat a affirmé que « la LFP a bien déposé sa demande et la décision sera prise le 13 août à partir de 10h00 ».

L’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF), organisme employeur créé en 1990 afin, notamment, de représenter les employeurs du football professionnel, s’associe à l’action en référé initiée par la LFP.

La compréhension du litige nécessite de répondre à plusieurs questions :

quelles sont les prérogatives du Comité Exécutif de la FFF ?
quelles sont les attributions du Conseil d’Administration de la LFP ?
sur quels fondements juridiques la FFF réforme-t-elle la décision du Conseil d’Administration de la LFP ?
pourquoi le Conseil d’Etat est-il compétent pour la résolution de ce litige ?
quels sont les problèmes juridiques posés au Conseil d’Etat ?
Cinq points doivent, dès lors, être abordés :

les prérogatives du Comité Exécutif de la FFF (1) ;
les attributions du Conseil d’Administration de la LFP (2) ;
Les fondements juridiques de la décision du Comité Exécutif de la FFF de réformer la décision du Conseil d’Administration de la LFP (3) ;
les principes régissant la compétence du Conseil d’Etat pour la résolution de ce litige (4) ; et,
les problèmes juridiques posés au Conseil d’Etat (5).
Les prérogatives du Comité Exécutif de la FFF
Le titre 2 des statuts de la FFF, intitulé « administration et fonctionnement » précise, en son préambule, que la FFF comprend trois organes qui contribuent à son administration et à son fonctionnement : l’Assemblée Fédérale, le Comité Exécutif et la Haute Autorité du Football.

Les prérogatives du Comité Exécutif sont énoncées à l’article 18 des statuts de la FFF : « il statue sur tous les problèmes présentant un intérêt supérieur pour le football et sur tous les cas non prévus par les statuts ou règlements ».

Le troisième paragraphe de cet article dispose que le Comité Exécutif « instruit des demandes d’évocation dans le respect des dispositions de l’article 13 du règlement intérieur ».

La réformation d’une décision nécessite, dès lors, d’initier une demande d’évocation, procédure soumise à l’article 13 du règlement intérieur de la FFF, qui renvoie à l’article 199 des Règlements Généraux de la FFF.

L’article 199 des Règlements Généraux de la FFF dispose que la demande d’évocation doit être adressée au Secrétariat du Comité Exécutif « dans un délai maximum de dix jours, suivant la date de notification ou de publication de la décision définitive contestée ».

En l’espèce, le 16 juillet 2015, une demande d’évocation a été adressée au secrétariat du Comité Exécutif de la FFF à la suite de la décision, en date du 9 juillet 2015, du Conseil d’Administration de la LFP.

Le 23 juillet 2015, le Comité Exécutif de la FFF a statué sur cette demande en invoquant l’article 5 de la Convention conclue entre la FFF et la LFP, cette convention ayant pour objet, en application de l’article L.132-1 du code du sport, de déléguer la gestion du football professionnel à la LFP :

« A l’exception des décisions d’ordre disciplinaire le Comité Exécutif peut se saisir, conformément à l’article 13 du Règlement Intérieur de la F.F.F., pour éventuellement les réformer, de toutes les décisions prises par l’Assemblée et par les instances élues ou nommées de la L.F.P., qu’il jugerait contraires à l’intérêt supérieur du football ou aux statuts et règlements ».

En conséquence, en vertu des dispositions précitées, le Comité Exécutif est en droit de réformer une décision du Conseil d’Administration de la LFP dès lors qu’il la juge contraire à l’intérêt supérieur du football ou aux statuts et règlements.

Les attributions du Conseil d’Administration de la LFP
L’article 24 des statuts de la LFP énonce, à titre non exhaustif, les attributions du Conseil d’Administration de la LFP :

Veiller au respect de la légalité et à l’application des statuts et règlements de la Ligue ;
Etablir le règlement intérieur de la Ligue pour le proposer à l’adoption de l’assemblée générale ; 
et,
Etablir le règlement administratif de la Ligue et le règlement des compétitions qu’elle organise etc.
L’article 24 des statuts de la LFP prévoit, ainsi, explicitement la faculté pour le Conseil d’Administration de la LFP d’établir le règlement des compétitions qu’elle organise.

Or, en l’espèce, le Conseil d’Administration, réuni les 21 mai et 9 juillet 2015, a modifié l’article 511 de son règlement des compétitions, figurant dans les dispositions relatives aux Championnats de France de Ligue 1 et de Ligue 2.

Avant cette modification, l’alinéa 1 de l’article 511 de ce règlement disposait qu’à « l’issue de la saison, les 3 derniers de Ligue 1 sont relégués. Les 3 premiers de Ligue 2 sont promus sous réserve qu’ils satisfassent aux conditions de participation de Ligue 1 fixées au Titre 1 du règlement administratif ».

En conséquence, le Conseil d’Administration de la LFP n’outrepasse pas ses prérogatives en modifiant l’article 511 du règlement des compétitions dans la mesure où l’article 24 de ses statuts le lui permet.

Les fondements juridiques de la décision du Comité Exécutif de la FFF de réformer la décision du Conseil d’Administration de la LFP
Après avoir rappelé ses prérogatives, énoncées ci-avant, le Comité Exécutif de la FFF invoque la décision de l’Assemblée Fédérale de la FFF du 20 juin 2015 qui prévoit une « révision du nombre de montées et descentes entre la Ligue 2 et le National, à partir de la saison 2016/2017 ».

Pour rappel, en vertu de l’article 11 des statuts de la FFF, l’Assemblée Fédérale de la FFF « statue, sur proposition du Comité Exécutif, sur toutes les questions relatives aux compétitions gérées par la L.F.P. et touchant à l’intérêt supérieur du football et à la politique sportive de la Fédération ».


Le Comité Exécutif de la FFF se fonde sur huit arguments juridiques pour réformer la décision du Conseil d’Administration de la LFP en date du 9 juillet 2015 :

le principe de non-rétroactivité des décisions réglementaires en ce qu’elle intervient après le début de la saison 2015/2016 ;
le principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 en ce que les modalités selon lesquelles elle a été adoptée favorisent les seuls clubs de Ligue 1 et en ce que cette décision a été prise au détriment des clubs de Ligue 2 ;
le principe de sécurité juridique consacré par l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 en ce qu’elle ne prévoit nécessairement pas de mesure transitoire puisque la saison 2015/2016 a déjà commencé et qu’elle a un impact immédiat et irrémédiable sur la situation des clubs de Ligue 2 ;
la décision de l’Assemblée Fédérale de la FFF en date du 20 juin 2015 ;
le fait que la décision du Conseil d’Administration de la LFP est fondée sur l’intérêt purement financier des seuls clubs de Ligue 1 alors pourtant que le Conseil d’Etat estime qu’il appartient à la LFP d’agir « dans l’intérêt général de ces compétitions », à savoir « le championnat de Ligue 1 et le championnat de Ligue 2 »
la non-conformité de cette décision avec l’article 6 des statuts de la LFP en ce qu’elle ne défend pas les intérêts matériels et moraux du football professionnel dans son ensemble ;
la non-conformité de cette décision avec l’article 24 des statuts de la LFP qui disposent que le Conseil d’Administration de la LFP doit respecter « l’objet social » de la Ligue, « la légalité » et « l’application des statuts et règlements de la Ligue » ; et,
le non-respect de l’article 1er des statuts de la FFF en ce qu’elle tend à rompre le lien entre les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, entre la FFF et la LFP et entre le football professionnel et le football amateur.
Le Comité Exécutif de la FFF conclut en jugeant la décision du Conseil d’Administration de la LFP « contraire à l’intérêt supérieur du football et, en tout état de cause, aux statuts et règlements ».

En conséquence, la sanction est la réformation de la décision du Conseil d’Administration de la LFP qui emporte la privation de tout effet de celle-ci, et non son annulation, sanction juridique emportant l’anéantissement rétroactif d’un acte juridique.

Les principes régissant la compétence du Conseil d’Etat pour la résolution de ce litige
En vertu de l’article L. 131-14 du code du sport, dans chaque discipline sportive, une seule fédération sportive agréée reçoit délégation du Ministre chargé des sports, les fédérations sportives ayant pour objet « l’organisation de la pratique d’une ou de plusieurs disciplines sportives » (article L. 131-1 du code du sport).

En matière de football, seule la FFF dispose de la délégation du Ministre chargé des sports.

Alors que les actes des fédérations nationales simplement agréées sont de nature privée, relevant du juge judiciaire, les fédérations sportives délégataires, bien qu’étant des personnes morales de droit privé, participent directement à l’accomplissement d’un service public administratif du fait de la mission d’organisation des compétitions qui leur a été confiée.

Le juge administratif est donc compétent en présence d’un litige concernant les décisions prises par les fédérations sportives délégataires dans le cadre de leur mission de service public d’organisation des compétitions dès lors qu’elles révèlent l’usage de prérogatives de puissance publique (CE, Sect., 22 novembre 1974, « Fédération des industries françaises d’articles de sport » (FIFAS), n°89828 ; CE, Sect., 19 décembre 1980, « Hechter c/ Groupement du football professionnel », n° 11320).

Une fois la compétence du juge administrative établie, il convient d’aborder la répartition de la compétence de premier ressort au sein de l’ordre administratif qui se fait entre les tribunaux administratifs et le Conseil d’Etat, cette répartition étant d’ordre public, ce qui signifie que les parties au litige ne peuvent y déroger.

En vertu du quatrième paragraphe de l’article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort « des recours dirigés contre les décisions administratives des organismes collégiaux à compétence nationale ».

En l’espèce, les fédérations sportives sont considérées comme des organismes collégiaux à compétence nationale.

En conséquence, le Conseil d’Etat est compétent pour statuer, en premier et dernier ressort, sur le litige opposant la FFF à la LFP.

Les problèmes juridiques posés au Conseil d’Etat
Les procédures de référé, ou procédures d’urgence, ont été créées par la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000.

Il convient de s’intéresser, en l’espèce, au référé intenté, à savoir le référé-suspension, prévu à l’article L. 521-1 du code de justice administrative, selon lequel :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

Le Conseil d’Etat pourra donc suspendre la décision de la FFF si :

la demande au juge administratif d’annulation ou de réformation de la décision administrative est préalable ou simultanée ;
l’urgence est justifiée ;
un doute sérieux quant à la légalité de la décision existe ; et,
la décision n’a pas été totalement exécutée.
En l’espèce, la première condition est remplie dans la mesure où la demande d’annulation a été adressée au Conseil d’Etat par le biais du recours pour excès de pouvoir, qui est un recours contentieux en annulation d’un acte administratif.

S’agissant de la condition de la justification de l’urgence, elle pourrait être considérée comme remplie eu égard à la caractérisation, par le Conseil d’Etat, de la situation d’urgence en présence de règlements sportifs adoptés par les fédérations (CE, 1er février 2001, « Association hockey club de Brest les Albatros », n°229355).

Il est, toutefois, difficile d’anticiper la décision du juge des référés en se fondant sur des jurisprudences antérieures dans la mesure où il apprécie la condition d’urgence au regard de l’incidence immédiate de la décision contestée sur la situation et les intérêts du demandeur.

La troisième condition, relative à la démonstration de l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision, fait figure de clef de voûte de ce litige : elle devrait déterminer l’issue du litige.

Il est communément admis que le doute sérieux n’est pas constitué lorsque l’organe disciplinaire applique les règlements fédéraux : c’est notamment le cas lorsque la fédération décide de faire rejouer un match interrompu par des jets de projectile sur le terrain (CE, ord. Réf., 10 octobre 2005, « Association sportive maximoise », n° 285276).

Toutefois, une demande de suspension d’une sanction de match perdu a été accordée par un juge des référés, au motif que le moyen tiré de ce que la pénalité devait être prononcée du seul fait que l’arbitre avait estimé que le terrain de jeu était praticable, était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée (CE, 13 décembre 2006, « Fédération française de football », n° 292245).

Il reviendra, enfin, au Conseil d’Etat de statuer sur l’absence d’exécution totale de la décision de la FFF.

En conséquence, l’issue du litige repose essentiellement sur la démonstration par la LFP de l’urgence et de l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision du Comité Exécutif de la FFF.

Quelle que soit l’issue du litige, il n’y aura qu’un seul perdant : l’image du football français.

Source: Legavox.fr

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